Michel Pastoureau
Il est des artistes dont l'œuvre demande un certain apprentissage ou une fréquentation
régulière avant d’être comprise puis appréciée. Il en est d’autres, en revanche, dont le travail
engendre une adhésion immédiate et une sympathie directe. Vladimir German est de ceux-là,
du moins pour ce qui me concerne. J’aurais non seulement aimé l’entendre parler de chacune
de ses œuvres mais aussi apprendre à ses côtés et partager son regard sur les formes, les
couleurs, les matières et les techniques. Il les a toutes sollicitées au gré de ses ports d’attache,
de ses rencontres, de ses envies et de ses curiosités, mais loin de traduire une certaine et bien
compréhensible diversité, son œuvre présente au contraire une forte et séduisante unité. C’est
du reste cette unité qui m’a frappé la première fois que le travail de Vladimir m’a été présenté
par son épouse Fabienne, l’année dernière, à Semur-en-Auxois, petite cité de caractère sise
dans le nord de la Bourgogne. Là, l’artiste a travaillé lors des trente dernières années de son
existence, dans un cadre tout à la fois apaisé et apaisant, au bord d’une jolie rivière sinueuse et
musicale, l’Armançon, affluent de l’Yonne. La visite de son atelier, resté partiellement en l’état,
m’a montré non seulement un lieu plein de charme et de discrétion, mais en totale harmonie
avec les œuvres qui s’y trouvaient et s’y trouvent encore.
Tout ici est à l’opposé de ce qui se voit le plus souvent dans les galeries parisiennes d’art
contemporain, c’est-à-dire la frime, le clinquant, la proclamation d’une appartenance à tel
mouvement et pas à tel autre, voire, plus insupportable encore, l’envie de « faire le malin ».
Dans le travail de Vladimir German, le criard et le tape-à-l’œil sont totalement absents. Je ne
peux que m’en réjouir. En outre, qu’il s’agisse de peintures ou de sculptures, sa palette est la
mienne, faite des tons mats, de dominantes s’inscrivant dans la gamme des bruns et des gris,
de teintes légèrement voilées, parfois un peu fanées, ou bien de contrastes sourds et
subtilement monocordes. Pas de rose ni d’orangé agressifs, pas de ces violets artificiels dont
usent et abusent les faux artistes, peu de jaunes, peu de rouges, quelques verts joliment
foncés, mais surtout, outre les bruns admirables et les gris indispensables, des bleus du soir,
des blancs terreux, des noirs pas tout à fait noirs mais noirs quand même. Et plus remarquable
encore, des couleurs mates, celles qui sont chères à ma vue et à l’idée que je me fais d’une
palette harmonieuse et sincère. Faire briller les couleurs c’est toujours les trahir et les rendre
disgracieuses.
Au demeurant, il me semble que c’est cette matité qui fait l’unité du travail de Vladimir
German, qu’il soit peintre, graveur, sculpteur, assembleur de matériaux divers. Je reconnais et
j’admire cette matité pleinement à l’œuvre dans ses compositions associant le bois, la terre, la
pierre et le métal, avec quelquefois une touche de peinture blanche ajoutée ici ou là. Je la
trouve également dans ses natures mortes, intemporelles et silencieuses, et dans ses portraits
peints, graves et concentrés. De nos jours, peindre en tonalités mates est plus difficile et plus
ingrat que de barbouiller le support de couleurs vives. Non seulement en raison des pigments
disponibles, des éclairages trop violents et des attentes perverties d’un certain public, mais
aussi à cause des moyens modernes de reproduction, qui tentent de faire connaître les œuvres
d’un artiste mais qui trahissent souvent son travail : comment traduire la matité des couleurs sur
le papier glacé d’un catalogue ou sur l’écran étincelant d’un ordinateur ? C’est un combat perdu
d’avance.
De fait, il semble y avoir chez Vladimir German quelque chose d’artisanal et de
noblement résigné, une attitude qui tourne le dos aux gadgets de la modernité et préfère les matériaux naturels à ceux de l’électronique. D’où cette délicate impression de mélancolie qui
affleure dans ses paysages pluvieux, ses lumières vespérales, ses visages aux yeux mi-clos et
ses teintes mates.
Les couleurs mates sont toujours des couleurs mélancoliques.